"Retour sur une maltraitance festive".
Voilà un magnifique sous-titre pour pointer une violence voilée. Celle de la corrida.
Elisabeth de Fontenay a placé la barre très haut.
Ce qui importe donc, en premier lieu, c'est le mot retour.
Faire retour.
Se retourner sur le passé. Sur des habitudes. Sur des non-dits. Pour s'interroger.
Sur ce qu'on n'a pas vu ou mal vu. Pas ou mal compris.
Revenir sur les lieux,
de la violence, du crime, de la catastrophe, du désastre.
Les séries policières télévisées, que ce soit Les experts, Esprits criminels ou Cold Case, affaires classées..., nous offrent cela justement. Un retour sur ce qui s'est passé et qui ne passe pas. Ou ne passe plus. Et un retour qui aboutit à un retournement. Un renversement de situation, de compréhension, de désignation d'un mal qui n'est pas dans les gens mais qui passe dans les relations entre les gens.
Renversement nécessaire. Qui ne va pas forcément sans dégâts personnels (remuer un passé plus ou moins occulté), ou professionnels (les flics sont secoués par ces affaires) ou encore collectifs (une ville, un quartier...).
Malgré tout ce qui en détourne justement. Le temps passé; les pouvoirs en place; la lâcheté; ou tout simplement la lassitude....
Mais qui permet de verser "cela" aux archives. Où ce qui est là est ce qui est enfin apaisé.
Retour.
Le mot fait un peu peur en philosophie.
Car c'est un mot énigmatique depuis que Nietzsche l'a inscrit en lettres de feu, comme un message, comme l'opération impossible et pourtant nécéssaire pour tout philosophe qui se respecte.
Comme un viatique troublant, puisqu'il impose de lâcher quelquechose de ce qu'on croit pouvoir atteindre de la vérité, quelquechose de la certitude d'une conquête théorique.
Comme une limite inobjectivable de la tâche philiosophique et que beaucoup de philosophes ignorent. Ou ne veulent pas prendre en charge. Car il y a un risque.
Personnel: on soulève des choses qui ne sont pas forcément agréables à reprendre en compte.
Professionnel: Fait-on de la philosophie ou de la psychologie? Ne risque-t-on pas le discrédit?
Politique: qu'y -a-t-il de bon à remuer des conflits à peine nés ou marginalisés?
Et pourtant, on le sait, il n'est pas bon de laisser traîner dans les tiroirs de l'inconscient collectif des mauvaises histoires. Quand bien même elles seraient auréolées du prestige
de célébrités.
Ainsi en va-t-il de la corrida.
Comme le note Elisabeth de Fontenay, on pourra objecter tous les écrits et toutes les peintures que l'on voudra, la corrida reste "un spectacle qui consiste à infliger au taureau des tortures savantes"(1).
Et faire retour sur ou à la corrida est un acte politique.
La philosophe a raison de rappeler la position de Zola sur la question: un spectacle de corrida est un spectacle qui est, pour les foules, "une éducation de sang et de boue"(2).
Alors faire retour, revenir sans cesse sur cette maltraitance est une obligation, un devoir
même : philosophique, moral et politique.
Plus que jamais.
Désormais, c'est à la corrida d'être aux abois.
Sources :
- Elisabeth de Fontenay : Apologie de la corrida: retour sur une maltraitance festive.
Libération, 8 novembre 2007, p.33.
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