« Un jour que je flânais, par un chaud après-midi d’été, dans les rues inconnues et désertes d’une petite ville italienne, je tombai par hasard dans une zone sur le caractère de laquelle je ne pus rester longtemps dans le doute. Aux fenêtres des petites maisons, on ne pouvait voir que des femmes fardées, et je me hâtai de quitter la ruelle au premier croisement. Mais après avoir erré un moment sans guide, je me retrouvai soudain dans la même rue où je commençais à susciter quelque curiosité, et mon éloignement hâtif eut pour seul effet de m’y reconduire une troisième fois par un nouveau détour. Mais je fus saisi alors d’un sentiment que je ne peux que qualifier d’étrange étrangeté et je fus heureux lorsque, renonçant à poursuivre mes explorations, je retrouvai le chemin de la piazza que j’avais quittée peu de temps auparavant ».
Ce fragment du récit d’un « promeneur solitaire » a pour auteur Sigmund Freud. On pourra sourire des frayeurs et du malaise du narrateur à la confrontation réitérée avec les prostituées apparaissant « aux fenêtres des petites maisons ». On ne pouvait voir que des femmes fardées nous dit Freud, mais il ne nous dit pas tout de son émotion du moment, de l’impulsion qui le conduit à être désorienté à tel point qu’il échoue à trois reprises dans cette ruelle de laquelle il a bien du mal à s’extraire. On peut imaginer que cherchant la source générative du lapsus mobile de cette trajectoire, Jacques Lacan ne se serait pas priver de le passer au crible lexical et d’en déduire « il y a bien du mâle à sexe traire », assignant à ce signe archétypique (y) l’effet de la figuration d’un signifiant - le sexe féminin – et la nécessité d’un lieu – le désir - qui ne se départit jamais de son caractère accidentel. La nudité de la vérité étant « toujours voilée en quelque partie » [Séminaire II, 245], il convient d’emboîter le pas au narrateur originel, il convient de le suivre à la trace dans cette petite ville italienne écrasée par la chaleur de l’été, en revenant au récit et sur ses idiomes propres.