Les images culturelles comme les personnes peuvent avoir de curieux destins. Certaines peuvent entrer de suite dans la légende et venir occuper le devant de la scène publique et s'y installer durablement. Que l'on songe à l'image de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy par exemple. Ou, dans un tout autre genre, l'image du portrait de La Joconde.
D'autres prennent leur place progressivement ou reviennent au gré de commémorations grandes ou petites. Les centenaires et bi-centenaires et autres éphémérides marquent notre époque.On pourrait multiplier les exemples. Notons tout de même l'imposant bi-centenaire de la Révolution française.
Il y a également un goût récent pour le retour d'images de périodes proches. On parlera dans ce cas de "revival". On tente de faire revivre objets et modes des années 60 ou 70, par exemple.
Toutes ces images convoquées ont en commun d'être considérées soit comme passées soit comme figées dans l'éternité.
Or, il y a toutes les autres images qui n'ont pas cette autorité ou ces opportunités et qui, cependant, jouent leur rôle souterrain d'animation d'une mémoire culturelle.Elles peuvent à un moment ou à un autre resurgir. On parlera alors de survivance. Ce qui signifie que ces images n'ont jamais cessé d'être vivantes.
Cette notion de survivance ("Nachleben") a été prise très au sérieux par un historien de l'art Aby Warburg(1866-1929) auquel Georges Didi-Huberman consacre un livre, L'image survivante.
Réanimer cette figure (du théoricien) et redonner toute la complexité à cette notion de survivance (en tant que concept opératoire) chez Aby Warburg, telle est la têche à laquelle s'est attelé ici le philosophe. Nous disons bien attelé car le travail d'enquête mené par Goerges Didi-Huberman est colossal et inaugural. Il en ressort que l'image culturelle n'est pas le lieu du dépôt d'une mémoire lisse et relativement épurée. Elle est "théâtre intense de temps hétérogènes qui prennent corps ensemble". En confrontant les travaux de Warburg aux oeuvres de Freud, Nietsche, de Burckhardt, le livre lui-même surpasse le projet d'étude sur un personnage, certes emblématique de la discipline dite histoire de l'art, mais marginalisé. Il offre, par la prise en compte du chercheur infatigable et du concept développé par lui, la possibilité d'un retour de la discipline sur elle-même. Ce que montre avec brio Didi-Huberman c'est que l'histoire de l'art,en tant que discipline, ne peut échapper à Warburg. L'historien-philosophe l'énonce très clairement : "Warburg est notre hantise"(p. 28).
Le travail de Georges Didi-Hubermman sonne le réveil d'une certaine histoire de l'art (héritage Winckelmanien, selon l'auteur) qui s'est bâtie, conditionnée par une norme esthétique où se décident les bons/beaux objets de son récit dont la réunion formera pour finir, quelquechose comme une essence de l'art(p. 20).
Il serait incompréhensible de conclure cette note sans citer ces quelques mots venant mettre un point final à l'ouvrage : "l''histoire de l'art, à chaque époque, voire à chaque instant, est toujours à relire, à recommencer"(p.514).
La publication de L'image survivante porte en elle une preuve éclatante qu'avec des historiens comme Georges Didi-Huberman la discipline n'est pas prête de se rendormir.
Pour en savoir plus, lire : L'image survivante,Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby Warburg, éditions de Minuit,coll.Paradoxe,Paris,2002,592 p.
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