Les mots ont parfois pour nous une extrême majesté. Parfois, convenons-en, nous la négligeons. Nous nous contentons alors, parce que c’est bien plus commode, de puiser l’eau de source de la connaissance dans des jattes éprouvées. A d’autres heures, nous découvrons de nouvelles manières de faire – donc puisqu’il s’agit ici de faire des dictionnaires – de nouvelles manières de penser. J’ai parlé ici dans une récente note de « contrediction » et non de « contradiction » pour situer le théâtre importuniste. Une lectrice de ce propos s’en est étonnée et m’en a fait part. Je la remercie car l’étonnement devient comme une espèce en voie de disparition. J’avancerai donc une hypothèse qui ne changera vraisemblablement rien à la carte d’identité du théâtre mais – sait-on jamais ? - pourrait rejaillir sur le cours des choses.
Contredire c’est évidemment « parler contre ». La contradiction c’est l’action de parler contre, du latin contra - adverbe et préposition qui signifie « en face de, vis-à-vis ». C’est donc à partir d’une référence d’ordre étymologique que nous avons placé la contradiction au cœur du théâtre, scène sur laquelle les personnages se font face et, simultanément, font face au public. C’est dire que le théâtre appelle, par construction, un agencement spécifique de l’espace porteur d’un artifice dont nous connaissons aujourd’hui un avatar bien spécifique : l’adhésif à double face. C’est peut être une manière inattendue de (re-)formaliser le théâtre et son double, mais ne faut-il pas, de temps à autre, faire preuve d’insoumission à l’égard des « modèles déposés » - fussent-ils héroïques au temps de leur conception ! – afin d’interroger toujours la temporalité des symboles et des images ?
Notons que contre porte parfois une autre costume, un costume plus ample : celui, par exemple, de la contrebasse, du contralto ou du contre-ténor. Contre devient alors le gène implicite du dépassement. C’est précisément cette courte échelle que revendique le néologisme contre-diction lorsqu’il est associé au théâtre importuniste, lequel sonde le dépassement du « rapport dramatique » à l’objet.
On le sait, l’objet est souvent un opérateur, un médiateur collaborant à l’action dramatique par la vertu de son usage par tel ou tel personnage, dans telle ou telle circonstance. Les exemples sont permanents, aussi bien dans le théâtre classique que dans le théâtre contemporain. Chacun pourra se référer à ce que sa mémoire du répertoire lui permet d’arraisonner. Ainsi entre les objets du théâtre et les personnage de théâtre, une sorte de pacte est depuis longtemps scellé : les uns (les créations artefactuelles) aident les autres (les créatures) à parachever la machination que la représentation se propose de donner à voir.
L’ARME DU CRIME OU BIEN LE CRIME DE L’ARME ? Par un renversement qui n’est paradoxal qu’en apparence, à l’heure où les problèmes de la civilisation sont profondément liés à l’excès de considération pour la valeur des choses, le théâtre importuniste s’aventure dans l’exploration de l’énigme – et donc de l’équivoque - que suscite la Double inconsistance de l’objet : celle, d’une part, de n’être que substance passive et celle, d’autre part, d’être immédiatement et infiniment muet.
Malheur donc à qui s’avise à dialoguer avec le silence des choses, en premier lieu les fous – admis bon grè mal gré dans l’enclos de l’anéantissement et du désoeuvrement - et, en second lieu, les importunistes et les contre-diseurs ! Car ceux-ci, vous l’aurez compris, sont prêts à se laisser irriguer par « cette tendresse dont nous emplit tout ce qui est vain » (Elias Canetti. Le Territoire de l’homme).
La suite ? Dans une prochaine note de haut de page !
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