L'incidence Bayrou : l'émergence d'une philosophie politique du centre...(par alain Guilleux).

                                                             "Mieux vaut en rester au centre",

                                                              Laozi.

Philosophie et politique : Commère et Compère.

Le magazine Philosophie (dans son n° 8 d’avril 2007) se propose d’envisager la campagne présidentielle française d’un point de vue philosophique. Quoique digne d’intérêt le dossier en question n’envisage pas autrement les choses que de faire soit du « people » (le duel Sarkosy/Onfray), soit de recenser des opinions (la déclaration de philosophes et de sociologues sur la personne pour laquelle ils vont voter), soit enfin de concocter un abécédaire (dictionnaire). L’effort est louable, inscrire le rapport du philosophique à l’actualité, mais par trop superficiel. Aucune clé ne nous est donnée pour comprendre ce qui se passe et quelle est la singularité de cette campagne. Cela reste du figé/imagé. Cela n’ouvre aucune piste de réflexion.
L’occasion est pourtant unique.
Car il y a matière à débat(s) autour de deux questions fondamentales : l’une sur l’environnement/écologie ; l’autre sur cette notion de « centre » que François Bayrou met en avant. Deux questions qui portent sur le monde - compris aussi bien dans son sens trivial de simple environnement que dans son sens plus technique de « totalité indéfinie de sens » (Jean-Luc Nancy) et la façon de s’y rapporter politiquement.
Et l’occasion est ratée.
C’est dommage.
On ne peut que s’interroger devant cette carence. Y aurait-il un abandon ou un renoncement à affronter maintenant ces questions dans un magazine de philosophie ? Ou plus grave encore les philosophes français ne chercheraient-ils plus à inaugurer une réflexion inédite dans ce domaine ? Ces dernières années, les deux seuls à avoir donné congé à l'emprise des connaissances académiques sont Michel Onfray et François Jullien. Chacun d’entre eux a d’ailleurs subi des critiques acerbes. Chacun dérange à sa manière. L’un par le souci constant d’ouvrir aux non philosophes un corpus d’œuvres inconnues sinon ignorées ou marginalisées. Et l’autre en montrant les limites d’une tradition philosophique inféodée aux concepts qui aurait fort à apprendre de sa confrontation à une pensée rationnelle, subtile, excitante, extérieure à notre tradition - la pensée chinoise.
Il est très regrettable que l’articulation du politique et du philosophique ne soit pas ré-interrogée, voire revivifiée à l’occasion de cette campagne présidentielle. Campagne très ouverte en termes de candidatures et d’idées exposées. Campagne qui s’inscrit dans un moment de bouleversements mondiaux où besoins et attentes des citoyens face aux concurrents en lice s’expriment tant dans les médias traditionnels que sur la Toile. Et les réponses apportées sont, il faut bien le dire, insuffisantes. Car il manque la réflexion radicale sur « le » politique qui soutendrait le discours sur « la » politique. Ce qui incite à se demander si les philosophes professionnels ne se sont pas endormis sur leur petit pré carré ?
Paraphrasant le questionnnement de Musset, on peut se demander "A quoi rêvent les philosophes" ?

sContre les idoles :

La question politique n’est pas réductible à une question abstraite asséchée ou à la résurgence de l’interrogation originelle qui donna naissance à l’activité proprement philosophique. Question et interrogation apparemment enterrées sous les lambris de la communication ou par l’agitation de la vie politique où tout se fabrique dans l’urgence du quotidien. Elle demeure néanmoins « la » question philosophique par excellence en ces temps où souffle le zèle de ceux qui détiennent le droit à la parole.

On voudrait nous faire croire au langage des seules images. En ce sens les communicants ont réussi. Les politiques n’y échappent plus. Rappelons nous De Gaulle poussé à ne plus porter de lunettes pour ses discours télévisés à une époque où déjà se manifestaient  les prémisses du déferlement médiatique. Les communicants ont réussi à nous faire croire aux images.

On voudrait nous faire tout apprécier en termes d’image(s). En ce sens les communicants ont réussi. Les politiques n’y échappent pas. Aujourd’hui plus un seul candidat ne peut se permettre de se soustraire à l’installation de vidéos de sa campagne sur le Net. On ne vote pas pour un programme, pas pour une idée mais pour un personnage. On va donc modeler et moduler l’image de ce personnage pour qu’il gagne les faveurs de l’opinion. Les communicants ont réussi à nous persuader que la politique est d’abord un combat d’image(s).

Mais le travail des philosophes n’est pas le travail des communicants. Il n’est pas de dire qui est le meilleur en termes d’image ou qui passe le mieux auprès du public. Leurs outils ne sont pas les mêmes. Alors, à quoi servent les philosophes ? S’ils ne sont pas des communicants, que sont-ils ? De simples rapporteurs d’opinion, au même titre que des experts d’autres domaines ? Dans ce cas leurs discours est noyé sous le ruissellement des autres discours. Et peut-on discourir sur tout, à propos de tout ? Les philosophes sont–ils habilités à donner des conseils aux politiques ? On les voit mal impliqués dans l'inlassable activité de coachs de campagne. Soyons plus sérieux ou plus ironique, comme dirait Nietzsche. Les philosophes ont du mal à trouver leur place parce qu’ils sont en concurrence avec d’autres "professionnels du discours" mieux équipés qu’eux (outils et réseaux de production/médiation) pour stimuler la bonne réception des messages des candidat(e)s auprès des divers publics cibles (les citoyens français en l’occurrence).

Philosopher ne sert pas à mesurer la cote de popularité d’un candidat ni à parier sur ce qu’il fera en cas de victoire dans le cadre des règles établies. Mais à jauger de la valeur de l’action politique en travaillant et en étant travaillé par la question de la réduction de la dette entre le mot et la chose, entre la réalité et le réel, entre le su et le vécu, entre la posture et l’action.

On voudrait nous faire croire que la question des rapports entre philosophie et politique tend à se résumer aujourd’hui à « quelles idées pour l’Elysée ? ». Autant dire à une question purement fonctionnelle et qui semble aller de soi. Nous nous opposons avec force à cette dissimulation du visible. En effet, quelque chose émerge avec obstination dans l’équivoque de cette campagne. Quelque chose de neuf en politique qu’on ne saurait limiter à une personnalité mais qui est porté par un personnage qui se démarque des autres parce qu’il creuse le lieu-même où il n’y a pas d’attente, parce qu’il redéploie le cercle politique en une spirale, formulant ainsi de façon innovante la « question du centre ». Question que les commentateurs et les rivaux ont du mal à entendre. Parce qu’ils ne cherchent pas à l’écouter, pris qu’ils sont dans la ritournelle du bruit médiatique. Parce qu’ils attendent des réponses toutes faites et non des questions sur le schème figé de leur questionnement. Ainsi le candidat Bayrou vient bouleverser la donne. Et pour des raisons qui tiennent tout autant au politique qu’au philosophique. Voilà en quoi ce discours et cette personnalité peuvent nous intéresser. Car en fin de compte ce sont eux qui probablement resteront dans le champ du "survenir" une fois l’événement - les élections présidentielles - passé.

Jacques Séguéla prétend que ce n’est pas le programme d’un candidat, mais l’idée et moins l’idée que le personnage qui l’incarne qui fait le Président (iable). On ne peut que lui donner raison si l’on se place du seul point de vue de l’image. Mais le rôle du philosophe n’est-il pas de se méfier de l'orthodoxie des points de vue ? Comme tout autre personnage politique, le candidat Bayrou construit son image. Il apparaît comme quelqu’un de posé, de souriant, de tranquille, ferme dans ses convictions, vigilant à propos de ce qui se passe autour de lui et sur ce qui est dit de lui... Toutefois il  invente et introduit une distorsion dans la géomérie de ce quadillage bien classique. C’est précisément cette "petite chose", ce "décalage", cet "apport personnel" qui viennent creuser la différence et bouleverser le ronron communicationnel. Cette attitude insignifiante selon certains mais qui est la cause de tant de mépris, contourne ce que nous désignerons comme « l’image-posture » et traduit la rupture du contrat qui lie François Bayrou à tous ses semblables : le refus réitéré d’être enfermé dans l'acceptation d'une image. Un François Bayrou contre les idoles (n’oublions pas l’étymologie, eidon=image) ? Un François Bayrou fidèle à ses convictions mais revendiquant de n'être pas "identique à soi", au moment où la question de l'identité (nationale) est devenue l'une des lignes de force majeure de cette campagne électorale.

Figure/Posture :

Ce que ne réussit pas un magazine de philosophie, un acteur - Vincent Lindon - l’accomplit. Voilà quelqu’un qui, de par sa profession, sait ce qu’est une image à force d’en jouer. En ce sens l’entretien qu'il accorde au journal Le Monde (daté du 23 mars 2007) est empreint de pertinence. Car Vincent Lindon pointe quelque chose de singulier. Que dit-il ? Il nous fait part d’une observation : « J’étais dans un café, un matin, avant d’aller tourner. Je l’ai vu descendre de voiture. Il était assis devant, les vitres n’étaient pas teintées, il n’y avait pas de moto derrière. Il avait le portable à l’oreille. Je l’ai regardé. Sa façon de faire me plaisait ». L’appréciation qu’il nous délivre est liée à une observation et à une pondération. Bayrou lui apparaît, et cela se confirmera lors de la rencontre entre les deux hommes, comme « le candidat naturel », et ceci contrairement aux autres challengers. « Lui ne fait rien pour apparaître autrement que ce qu’il est, ça me rassure ». Le récit de cette rencontre rend bien compte d’un indice précieux : une sorte d’accord entre un paraître et un être.

Le candidat Bayrou n’échappe évidemment pas à la médiatisation voulue, provoquée ou subie. L’image du tracteur ou celle de la gifle donnée sont là pour témoigner du souci de mise en scène qu'il partage avec les autres candidats. Le champ magnétique des images somme les politiques de se déclarer, de se figer dans des postures. Ainsi récemment Armand Frémont dans le journal Le Monde daté du 7 avril 2007 s’est plu à dessiner une « Géographie mentale des candidats ». Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy qui caracolent en tête des sondages n’ont trouvé qu’une seule parade : sauter d’une image à l’autre. Tantôt plus libéral tantôt plus social, pour l’un. Tantôt fidèle aux courants du parti tantôt s’en détachant, pour l’autre. D’où l’impression qu’ils flottent en permanence dans leurs convictions. Ne peut-on pas voir dans ce changement constant de perspectives l'un des motifs de l’indécision d'une grande partie des électeurs ?
Bayrou opère avec une tout autre stratégie. Non seulement il ne quitte pas la place qu’il s’est choisi - le centre, son point d’appui - mais il continue de la revendiquer, contre vents et marées, en tant que telle et avec une certaine exaltation. Agissant à la manière d'un chorégraphe, il crée l'espace lui permettant de dessiner des cercles toujours plus grands autour de cette position que d'aucuns jugent dérisoire, "désaxée", voire inconsistante - être centriste quelle idée saugrenue ! Or c'est cela même qui fait de François Bayrou un sujet au sens fort, « car un sujet naît de la rencontre incalculable d‘un possible ignoré » (Alain Badiou, dossier Kierkegaard, in le Magazine littéraire, avril 2007, p. 51). Or, c'est cela même qui est devenu, au fil des péripéties de la campagne présidentielle, la force de la candidature Bayrou. Au point de renverser la situation à son profit et de faire de son engagement un axe autour duquel ses deux concurrents font figure d’instables. Déplaçant ainsi le centre de gravité de la vie politique. Et par là même rappelant ainsi qu’une communauté politique doit s'inscrire dans un double mouvement : celui de tricoter de la différence et de l’identité.

Cela nous permet d’émettre l’hypothèse suivante : François Bayrou partage cette conception énergétique de l’image établie par le philosophe Jean-Luc Nancy : « L’image recèle l’indice de l’arrêt (la forme, le présent, la représentation) et en même temps l’indice du mouvement (la force, le paraître/disparaître). C’est pourquoi elle engage aussi bien la prolifération indéfinie des images que l’isolement de chacune et son encadrement, son accrochage au mur » (Au fond des images, p. 178). Cette image-là nous la nommerons Figure. À interprétrer comme « manifestation d’une énergie s’actualisant dans un corps ».  Ni Icône, ni Idole, ni Madone, ni Commandeur…. François Bayrou - millésime 2007 - s’impose comme une figure libre du politique. La méthode de François Bayrou est intelligente et hardie : c'est celle d'un fureteur et c'est pourquoi elle inclut la modalité du détour. Détour. N'est-ce pas le mot qui rend le mieux compte des ambages d'une trajectoire somme toute innatendue ? Détour au double sens de détourer une image - la faire surgir d’un fond - et au sens de contourner les obstacles. Se permettre le luxe des détours, n'est-ce pas au fond une façon d'être libre ? Reste une question importante : qu’en est-il de sa morale ? Qui se dédouble en une autre : peut-on croire en sa parole ?

Ce jeu entre un axe ferme, stable et une circulation entre centrage et décentrement ne peut être soutenu que par quelqu’un qui est lui-même centré, sinon le vertige de réalité aura tôt fait de le déstabiliser. Se positionner au centre, c’est se mettre en position de recevoir des assauts fomentés de toutes parts. On ne cherche d’ailleurs pas ici un héros, même si certains veulent faire resurgir le spectre de « l’homme providentiel » (propos d'Azouz Begag rapportés par Libération en date du 13 Avril 2007). Il ne suffit pas de s’être placé au centre de la vie politique et de s’y être maintenu. Encore faut-il pouvoir justifier de cette place. Puisqu’il prétend se situer au centre, la question doit lui être posée directement,
brutalement : est-il au centre de lui-même ?

François Bayrou n’a de cesse de dire - et de prouver - qu’il n'est ni ankylosé ni amnésique. Qu’il ait soutenu les gouvernements de droite, n’est pas pour lui sujet de reniement. Cela fait partie de son parcours politique. Il a encore probablement à se déprendre, comme disait Bachelard, d' "erreurs tenaces, coordonnées et solidaires" qui sont le lot de toute personne qui a cheminé sur la voie de la "questionabilité" et de la "responsabilité". Mais il insiste également pour montrer que les choses ont bougé pour lui, en lui. Qu’il n'en reste pas là. La figure de François Bayrou est donc à considérer (au double sens de regarder et de prendre en considération) en terme de parcours de vie. Un déplacement qui se traduit par une modification de perspective sur la pratique politique, sur l’acceptable et l’inacceptable en ce domaine, et qui lui permet de « déplacer sa position de sujet afin de pouvoir se donner les moyens de déplacer la définition de son objet » (p. 43 de L’image survivante de Didi-Huberman). On verra plus loin que son objet de pratique et de réflexion, le centre, en est effectivement affecté. Et que ce déplacement revendiqué introduit dans l’espace politique un authentique processus critique. Que d’une certaine façon, il le met en crise. En ce sens, le sujet moral est bien celui qui tout au long de sa vie se réforme. Soit l’envers de ce qui est scellé, muré. Pour reprendre la belle expression de François Jullien parlant des sages taoistes : « La sagesse, …., est de ne pas laisser murer entre elles les existences ; sa disponibilité est de ne plus s’attacher aux discriminations qui « rétrécissent » la conscience, la figent - l’ « enlisent » - la codifient » (Un sage est sans idée, p.159). Sous ce premier aspect, dans cette capacité de retour sur soi, dans cette disposition intérieure, dans cette disponibilité revendiquée, le candidat fait montre d’une cohérence certaine.

Ne faisons pas de psychologie. On se saurait ramener l'"incidence Bayrou" à une affaire de caractère, aux effets d'un tempérament. Cependant, revenons à la silhouette entrevue par notre témoin, Vincent Lindon, au moment de l’apparition de l’homme Bayrou. L'acteur est attentif au rapport entre ce que le candidat montre et qu’il peut maîtriser et ce qu’il est profondément quand il ne se sent pas observé. On pourra reprocher à cette observation son côté par trop subjectif. Par trop « impressif » pourrait-on dire. Mais en même temps on ne saurait l'écarter car il nous conduit vers un trait essentiel de cette figure (du/de) politique. Cependant, puisque cet indice est trop lié à l’observateur, nous devrons en chercher un autre, ailleurs, plus "génératif". Reste à savoir où le trouver ? Il nous semble que la réponse est dans le concept de Parrhesia. Travaillant les philosophes de l’antiquité, le philosophe Michel Foucault a rappelé que la « Parrhesia » est l’un des révélateurs de la vérité d’un personnage. Un homme libre a le souci de la Parrhesia, du « franc parler » et du « dire vrai ». Et, si l’on se place dans notre contexte, il devrait constituer l’un des objets d’attention des citoyens dans le choix d’un candidat. François Bayrou semble en avoir fait preuve à de nombreuses reprises tant vis-à-vis des puissances d’argent que vis-à-vis de ses alliés politiques. Il souligne à juste titre qu’il n’est effectivement soutenu par aucun des grands organes de presse écrite d’information générale. Il s’appuie sur cette indépendance pour dire ce qu’il a à dire, comment il a à le dire et quand il a à le dire. En cela, le dire vrai et le franc parler, s’opposent à la flatterie, à la rhétorique comme à la soumission aux puissances d’argent, aux dogmes ou à l’obéissance de parti. Celui qui parle doit être présent dans ce qu’il dit. C’est une fidélité à sa parole. Et à examiner ces aspects on peut dire que le candidat n’est pas si éloigné de cette « Parrhesia », sous réserve de preuve du contraire. Et cela peut constituer un bon indice de confiance.

Le centre, l’expérience interdite ? :

Il s’agit de comprendre enfin ce qui se joue à travers cette revendication du centre.

Il est des termes qui fâchent : au hasard, celui de réactionnaire. Il en est d’autres qui laissent indifférents ou font sourire : celui de centre, par exemple. On en est là. Conséquences de cette pensée unique si souvent invoquée ? On ne saurait le dire, mais il n’en demeure pas moins que le constat en est affligeant. On peut le décrire comme une impossibilité de penser la politique autrement. Époque de pensée simplificatrice qui n’arrive pas ou plus à penser quelque chose qu’elle ne reconnaît pas. Le centre ? Le centre n’est-il pas synonyme de déperdition, de ce qui ne désigne que l’impossibilité de désigner. Ne serait ce pas cette friche défraîchie où se réfugient quelques parlementaires égarés ?

Le centre a l’image de ventre mou de la République. Est-ce injustifié ? Il apparaît en tout cas comme ce milieu par défaut, sorte de middle of nowhere de l'espace politique. Zone sans foi ni loi autre que celle de l’opportunisme. Historiquement le Marais, le Tiers Etat ( François Bayrou a lui-même repensé à cela dans l’un de ses ouvrages). Ou, plus proche de nous, cette antichambre où viennnent puiser régulièrement les Premiers ministres en mal d’ouverture lors d’un remaniement gouvernemental ?
On n’aurait sans doute pas tout à fait tort de le concevoir ainsi, jusqu’ici. Car tout n’est pas si désespéré. Hors l’expérience giscardienne (1974-1981) qui s’est terminée par le symbole de la chaise vide, il est bon de rappeler tout de même qu’à deux occasions le centre sous la Vème République a été un challenger crédible pour obtenir la Présidence de la République. Une première fois avec un candidat qui le premier incarnait la jeunesse. Une forme de jeunesse en politique : Jean Lecanuet. A cette époque (1965) sa candidature a été vilipendée (à tort ou à raison ici n’est pas la question) et réduite à son sourire aux dents blanches. Il venait sans doute trop tôt. Trop américanisé dans sa communication également. Échec et mat. La seconde occasion l’a été par défaut au moment du décès du Président Pompidou en 1974. L’homme qui postula la place de Président se nommait Jean Poher. Président du Sénat, il avait déjà assuré l’intérim après le départ de De Gaulle en 1969. Ces élections venaient trop tard pour lui. Pas assez motivé pour la fonction et le renouveau politique. Nouvel échec sans appel ? Non, car aujourd’hui, la notion de centre "osé" par François Bayrou est un centre métamorphosé.
Il envisage et revendique en effet une politique renouvelée par co-partage du pouvoir avec des éléments de la droite, de la gauche et de la société civile. Politique renouvelée ? Oui, car elle exige l’abandon des dogmes. Tout ce qui fige ou qui heurte. Le temps est à l’exigence de dialogue, de concertation, de respect mutuel. Ces termes, criés depuis des années par nombre de catégories sociales ou professionnelles, seraient-ils à ce point vidés de leur sens que les politiques ne les entendent plus ?
Le centre impulsé par François Bayrou revêt un caractère « anadyomène » (apparaissant/disparaissant). Ce qui est d’apparence faible peut devenir puissance. Une souplesse à l’image des arts martiaux chinois où l’on se modèle à son partenaire (et non son ennemi) pour prendre l’avantage et, en même temps, ne pas lui faire perdre la face. Un changement dans les modes de gouvernance en somme. Pour le philosophe c’est l’affirmation d’une idée neuve, pour la première fois depuis longtemps  - disons 1981, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir. Cette idée forte s’était exprimée alors sous le slogan « changer la vie ». Elle avait suscité un soutien populaire évident. Elle n’aura duré que de 1981 à 1983 mais peu importe ici. L'"actualité durable" d'aujourd'hui c'est le fait d’une désorientation généralisée de la population (y compris des élites) face aux enjeux (sociaux, économiques, écologiques et technologiques) auxquels il faut faire face et qui déstabilisent l’ordre du monde établi globalement depuis les années 50. Repenser et réorienter, voilà la tâche du futur Président. Seule une idée clé peut ouvrir l’horizon. Ainsi de celle de centre. L’Allemagne, d’une certaine façon, l’expérimente aujourd’hui mais n’en a pas le concept. La France peut donner ce concept en s’appuyant sur l’expérience de sa voisine. Or l’on sait l’importance du pôle France Allemagne au sein de l’Europe et la nécessité pour l’Europe d’imposer sa marque face aux autres blocs. Voilà donc un concept significatif. Capable de désigner une direction à une politique non seulement française mais également européenne.

Réorienter à partir du centre. Est-ce naïveté, ou pire, folie ? Une autre partie du monde en connaît le bien fondé. Le modèle en a été forgé et expérimenté depuis des millénaires. Nous pensons bien évidemment à la Chine. A l'évidence, cette notion - mieux encore, cette pratique - inspire tous les domaines de cette civilisation. Elle n’est pas sans défauts, et cela devrait être un des débats à engager pour en mesurer les limites. Car il serait vain, voire dangereuxn de la plaquer sur notre propre culture sans la réfléchir, sans la discuter, sans la mettre à l’épreuve. Mais elle présente déjà un avantage celui d’indique une direction, mieux encore, une dimension des relations au monde qui mérite d’être mise en oeuvre. Mais, avant d’y revenir une dernière fois pour la comprendre, faisons un petit détour. Par un questionnement simple :

Que ce soit au plan individuel ou collectif, les questions qui nous sont posées de manière pressante sont  les suivantes :

- Qui sommes-nous dans ce monde qui se dessine en ce début de XXIème siècle ?
- Quelle est notre place ?
- Que pouvons-nous offrir au reste du monde ?

Pour pouvoir répondre à ces trois questions, qui sont trois défis, cela nécessite à la fois certitude et souplesse. Sinon les vagues des échanges de tous ordres venant du dedans de nos pays ou de l’extérieur vont frapper et creuser des gouffres d’où nous ne pourrons plus émerger que difficilement. Gouffres dans lesquels nous emploierons toute notre énergie. L’avenir ne se dessine pas comme un puzzle dont il suffirait de remplacer les pièces manquantes par d’autres et ainsi de suite en colmatant les brèches. On ne doit plus concevoir « la » politique en termes de mécanique. La seule image, puisqu’image il faut, est celle de fluidité. Et non d’images fixes tirées du seul magasin d’accessoires du passé, de projection imaginaire ou encore de coups de tête en changeant de formules chaque soir ou chaque matin. L’avenir, le devenir, est mouvement. Si l’on ne veut pas être entraîné malgré soi dans un mouvement extérieur et non assumé, alors il y faut de la plasticité. C’est-à-dire à la fois capacité de maintien et métamorphose. Et c’est justement ce que permet le concept de centre vu sous un angle philosophique. Encore faut-il considérer le monde non comme une hypostase, vis-à-vis de laquelle on serait dans la seule posture d’en attendre tout ou rien, mais comme une modalité en transformation. Avec ce concept c’est un rapport inédit (sous nos latitudes) entre universel et particulier qui est mis en perspective, nommons le : «un empirisme supérieur » ( Jullien ). Nous sommes en présence d’un viatique pour nos temps de brusques changements. Donnons sa chance à cette opportunité de faire son chemin. Alors le centre n’est plus ce mot répulsif. C’est un mot d’appel et en même temps, et d’un seul mouvement, un concept. Qui plus est un concept opératoire. Pour saisir cela il n’est pas indifférent de jeter un œil à cette longue tradition philosophique et culturelle des lettrés chinois. On comprendra alors, que loin d’être désignée comme une notion passe-partout, la notion de centre met en évidence une conception affinée/raffinée et surtout rationalisée. Les travaux de François Jullien sont là pour en attester la fécondité. On reproche souvent de ne pas assez nous ouvrir au monde, sachons voir où puiser notre bien.

Ne pas vouloir faire de la figuration dans cette campagne, comme si les choses étaient acquises entre deux challengers s’auto désignant adversaires, voilà ce qui a autorisé François Bayrou à repenser le « centre » en l’éloignant de la notion de « centrisme » . Il le redirige vers ce qu’il pourrait présenter comme alternative pour le futur. Un centre conçu non en termes d’hypostase, comme on dit banalement « la droite » ou « la gauche », mais comme un foyer, ou mieux un pivot, qui sans éliminer la gauche et la droite, est capable de s’ouvrir dans les deux directions. Et qui permet de répondre aux diverses situations et d’évoluer librement en elles. Voilà une approche qui place le politique dans une perspective digne d’intérêt. Dès lors le candidat joue sans cesse sur cette double modalité : centrer - décentrer. C’est pour cette raison qu’aux promesses et aux réponses figées il préfère opter pour quelques orientations jugées comme significatives à son projet. S’il fallait à tout prix user d’une image pour se représenter le centre, on l’emprunterait à l’univers pragmatique chinois. Ce serait celle des gonds d’une porte. Partie fixe et qui néanmoins fait office de pivot, elle permet de jouer entre ouverture et fermeture suivant les circonstances. Partie qui, sans se mouvoir, elle-même permet aux autres de le faire. Objet discret et pourtant indispensable puisqu’il préside au passage entre le dehors et le dedans. Objet d’échange (s).
Sujet philosophique tout aussi bien.

Conclusion provisoire : A l’épreuve de la philosophie.

On s’est beaucoup gaussé de l’implication des philosophes en politique. Avec raison. Ils ne sont pas les meilleurs conseillers ni les mieux compris. Mais on ne saurait nier l’importance de la réflexion philosophique dans les transformations des conceptions politiques. Dans notre cas de figure, un homme politique est en train de bouleverser discrètement la donne politique en s’appuyant sur un concept qui n’a pas encore développé toute son ampleur dans le champ philosophique qui est le nôtre. Le concept de centre. Il en fait même l’axe de sa campagne. Il est très bizarre qu’aucun philosophe ne se soit enquis de le remarquer. Voilà qui en dit long sur l’état de surdité à ce qui point, ce qui émerge. Il ne s’agit pas ici de donner des leçons à qui que ce soit. Il s’agit de sortir d’une certaine apathie académique. Et de ne pas faire comme si rien ne se passait dans le champ de la philosophie politique. En philosophe instruit des réalités du monde, il ne peut qu’être réjouissant de donner sa chance à ce que nous appellerons modestement la « proposition Bayrou ».

De Gaulle et Mitterand ont imposé une stature présidentielle. A force de persévérance. A force d’action et de paroles qui ont marqué les esprits. Tout le monde ne peut accéder à ce modèle. Ce qu’on peut juste dire c’est que chacune de ces Figures politiques a modelé la politique de la Vème République en (se) jouant des Institutions. Tout le monde ne peut ni ne veut accéder à ce modèle de gouvernance. Et d’ailleurs les temps ont bien changé depuis que ces deux hommes politiques ont tracé leur destin. Et notamment le fait historique que les deux grandes tendances de l’opinion qu’ils représentent et les deux grands partis qui en sont l’expression ont exercé et partagé la scène politique lors des cohabitations. Peut-être également ont-ils épuisé les deux grands récits, autour desquels ils se fondaient : ceux du socialisme et du gaullisme. Puisque le désir de changement est de nouveau en marche, François Bayrou peut jouer sa carte : la carte du centre. A côté du règne des images, omniprésent. A côté du monde des grands récits, qui s’est effacé, peut exister une troisième voie : celle d’une expérience du lien politique fondé philosophiquement autour de cette notion de centre. Loin d’être le reflet d’un archaïsme, celle-ci inaugure une procédure qui se veut inédite. Cette élection présidentielle a permis l’éclosion de multiples figures symboliques : celle la figure maternelle (Ségolène royale = modalité de la compassion) celle paternelle (Nicolas Sarkozy= modalité de l’hyperactivité et de l’imposition autoritaire) et celle fraternelle (François Bayrou= modalité du dialogue serein accompagné de fermeté). Un grand frère de la République en quelque sorte. Qu’il soit chrétien en ce sens n’est pas indifférent.

Le temps ne sera pas bloqué sur l’élection du Président de la République. Il y aura un après. Un avenir. Et dans cet avenir on perçoit un advenir plein de grandeur. Désormais il y a donc une place pour une réflexion sur « le » politique (et pas seulement sur « la » politique) avec ce qui apparaît déjà comme un opérateur de distinction, la notion de centre. Le candidat de l’UDF a imposé cette place. Et il est en passe d’imposer un référent. Michel Onfray a pu dire récemment sur son blog : « Merci à François Bayrou….. d’avoir déplacé les lignes ». Ce n’est pas seulement de cela qu’il s’agit. Ce serait alors en rester à une simple tactique. Or les tactiques ont fait leur temps. Ce qu’exige la situation c’est une stratégie qui opère un déplacement de la conception même du politique. Tel Mendès France autrefois, ou Delors naguère, le candidat Bayrou est en train d’imposer une figure respectable dans la République. Une figure de l’écoute, pour orienter.

Il est grand temps.
La souffrance n’attend pas.

Paris, Avril 2007.

Références :

 

- Didi-Huberman, Georges, L’image survivante, histoire de l’art et   
                                        temps des fantômes selon Aby Warburg,
                                        Paris, Minuit, 2002, 592 p.

-Frémont, André, Géographie mentale des candidats, in Le Monde,
                               Samedi 7 avril 2007, p.19.

-Jullien, François, Un sage est sans idée, ou l’autre de la    
                               philosophie, Paris, Seuil, coll. L’ordre   
                               philosophique, 1998, 236 p.   

-Nancy, Jean-Luc, Au fond des images, Paris, Galilée, 2003, 181 p.

-Onfray, Michel, http://w.w.w.michelonfray.blogs.nouvelobs.com/      
                         archive/2007/03/27/remerciements.

-Roger, Patrick/ Lindon, Vincent, De Mitterand à Bayrou, entretien, Le
                                                 Monde, Vendredi 23 mars 2007, p. 8.

-Collectif : Confidences entre ennemis, et Quelles idées pour l’Élysée ?,
                 in Philosophie Magazine, avril 2007, n° 8.

Comments

[Rédigé par : BymnTymnhit]

SOCIAL système financier donne le MMM -2011 entré pour chaque 20 $.
Le système a réussi à payer pendant 8 mois.rn  Le taux d'intérêt 20 à 60% par mois!
Dans le MMM -2011 a près de 2 millions de personnes. Utilisez cette opportunité !rn L' Internet ne va pas trouver des critiques négatives , nous aidons les gens .rn Ce mouvement a été prédit par les prophètes , pour notre avenir! Joignez-vous .rn Nous avons beaucoup ! Et nous changeons le monde!rn le site http://mmm-invest.biz

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[Rédigé par : Brielentqueli]

Внутри пирамиды: как мы вкладывали деньги в "МММ-2011" и выводили их, статья от prostobank.ua "Путеводитель в мире личных

финансов"

Можно ли на самом деле получить до 30% доходности в месяц от вложения в "МММ-2011"? С какими проблемами столкнется желающий

вывести деньги из этой "финансовой социальной сети"? Какой из способов входа-выхода в пирамиду и из нее наиболее оптимальный?

Prostobank.ua решил на личном опыте выяснить принцип работы "МММ-2011".
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Can you really get up to 30% return per month on investments in the "MMM-2011"? What challenges face wants
withdraw money from this "financial social network? 'Which way entry and exit into the pyramid and from the most appropriate?
Prostobank.ua decided on personal experience to find the principle of "MMM-2011."
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Ниже ссылка на статью.
http://www.prostobank.ua/finansovyy_gid/byudzhet/stati/vnutri_piramidy_kak_my_vkladyvali_dengi_v_mmm_2011_i_vyvodili_ih

Регистрация в МММ-2011 http://mmm-invest.biz
Внимание! Финансовые пирамиды опасны для вашего финансового здоровья!

[Rédigé par : noushdut]

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[Rédigé par : grattehowdero]

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